page 613
À leur grande tolérance, les Arabes d'Espagne joignaient des mœurs très cheva* leresques. Ces lois de la chevalerie : respecter les faibles, être généreux envers les vaincus,tenir religieusement sa parole, etc., que les nations chrétiennes adoptèrent plus tard, et qui finirent par exercer sur les âmes une action plus puissante que celles de la religion même, furent introduites par eux en Europe.
Page 614
Leur supériorité morale a été reconnue par les rares auteurs qui ont étudié leur histoire. Voici comment s'exprime à cet égard un des savants les plus compétents en cette matière : « Sous le point de vue moral, scientifique, industriel, dit M. Sédillot, les Arabes étaient bien supérieurs aux chrétiens : leur caractère, leurs mœurs avaient quelque chose de généreux, de dévoué, de charitable, qu'on eût vainement cherché ailleurs. On trouvait chez eux ce sentiment de la dignité humaine qui les avait toujours distingués, et dont l'abus devait produire la funeste manie des duels.
« Les rois de Castille et de Navarre avaient tellement confiance dans la loyauté et l'hospitalité arabes, que plusieurs d'entre eux n'hésitèrent pas à se rendre à Cordoue pour consulter les médecins si renommés de cette ville. Le plus pauvre des musulmans tenait autant à conserver intact l'honneur de sa famille que le cheik le plus orgueilleux. »
tolérance chrétienne :ban:
Page 593-594
Ferdinand avait accordé par traité aux Arabes le libre exercice de leur culte et de leur langue ; mais dès 1499 s'ouvrit l'ère de ces persécutions qui devaient se terminer au bout d'un siècle par leur expulsion. On commença par les baptiser de force ; puis, sous le prétexte qu'ils étaient alors chrétiens, on les livra à la sainte inquisition qui en brûla le plus qu'elle put. L'opération marchant avec lenteur, en raison de la difficulté de brûler plusieurs millions d'individus, on tint conseil sur la
façon de purger le sol de l'élément étranger. Le cardinal-archevêque de Tolède, inquisiteur général du royaume, homme d'une grande piété, proposa de passer au fil de l'épée tous les Arabes non convertis, y compris les femmes et les enfants. Le dominicain Bleda fut plus radical encore. Considérant avec raison qu'on ne pouvait savoir si tous les convertis étaient bien chrétiens du fond du cœur, et observant justement qu'il serait d'ailleurs facile à Dieu de distinguer dans l'autre monde ceux qui méritaient l'enfer de ceux qui ne le méritaient pas, le saint homme proposa de couper le cou à tous les Arabes, sans aucune exception. Bien que cette mesure eût été appuyée avec énergie par le clergé espagnol, le gouvernement pensa que les victimes ne se prêteraient peut-être pas faci* lement à la subir et se borna, en 1610, à décréter l'expulsion des Arabes. On eut soin du reste de s'arranger de façon à ce que la plupart fussent massacrés pendant l'émigra* tion. L'excellent moine Bléda, dont je parlais plus haut, assure avec satisfaction qu'on en
page 595
tua plus des trois quart en route. Dans une seule expédition, qui en conduisait 140 000 en Afrique, 100 000 furent massacrés. En quelques mois, l'Espagne perdit plus d'un million de ses sujets. Sédillot et la plupart des auteurs estiment à trois millions le nombre de sujets perdus pour l'Espagne, depuis la conquête de Ferdinand jusqu'à l'expulsion des Maures. Auprès de pareilles hécatombes, la Saint-Barthélémy n'est qu'une échauffourée sans importance, et il faut bien avouer que, parmi les conquérants barbares les plus féroces, il n'en est pas un ayant eu d'aussi cruels massacres à se reprocher.